"on the road again", three times a week.
Vous le savez, trois fois par semaine je me rends chez "la dame de l'étang noir", on pourrait croire que c'est un genre de voyage ordinaire et somme toute banal puisque répété maintes fois. Et bien oui et non ...
Tout d'abord le trajet: entre 45 minutes et une heure (aller, faut prévoir aussi le retour ..., gros malins!).
Suivant les saisons, il s'effectue de jour ou de nuit, on s'y retrouve coincé derrière les touristes en route pour la plage, on craint deux trois fois l'an la gelée ou la neige, plus souvent le brouillard... Suivant les heures de la journée, on calcule avec les retours de boulot, les sorties d'école, la cohue du marché, les camions chargés de grumes... Et si on arrive en avance, il y a l'emplacement où se câle quelques minutes, à proximité mais pas trop près... Moi j'aime bien le bord de l'étang, on peut y voir les pêcheurs, les hérons, et les gosses du village qui font du bruit sur leurs crampons en sortant de l'entrainement de foot sur la route bitumée.
Suivant les périodes et les heures de la journée, le programme musical ou radiophonique dans la voiture n'est pas le même: Les semaines d'avant concert sont assez mono-mélodiques: il y eut diverses versions: Te Deum de Lully, Gloria de Poulenc, Lieders de Brahms ... Sinon, c'est bien souvent la tranche 5 à 7 d'inter et depuis septembre les grands entretiens de F. B. Certains invités étaient carrément réjouissants, je garde le souvenir des paroles si pertinentes de l'acteur Robin Renucci, par exemple...
Et puis le trajet n'est pas le même suivant qu'on se situe à l'aller ou au retour:
A l'aller, les premières 10 minutes sont marquées par le stress, surtout si c'est à la sortie du boulot, à la bourre comme d'hab, et à l'heure délicate où tout un chacun cherche à s'extraire de la ville le plus vite possible, avec le goulot d'étranglement classique, chez nous, la traversée du fleuve... Le choix du pont est stratégique et dépend de l'heure et de la saison ... Puis, comme de toutes façon il n'y a ensuite qu'à suivre le flot, on commence à penser à ce que l'on va dire sur le divan: un rêve récent ? Une galère de boulot ou de famille ? La suite de la séance précédente ? L'inquiétude qui suinte depuis quelques jours ?... Ensuite, vers la fin du trajet, il se produit comme une immense lassitude: C'est pas possible de se taper tout ces kilomètres pour 20 à 25 minutes en moyenne de parole (ou de silence aussi des fois), non mais elle ne se rend pas compte, l'autre, là, de ce que ça représente ce cirque trois fois par semaine !!!
Au retour, parfois on est juste une rivière de larmes qui roule et déroule sa vie comme le ruban de bitume, inexorable, y'a juste à suivre, ça finit par se calmer... D'autres fois on ressort plutôt en colère, contre elle, et surtout contre soi. Merde! tout ça pour ça !!! Parfois aussi on se demande comment on fait pour arriver à trouver la force de repartir, de continuer à vivre ... Quelquefois encore, on en ressort avec comme un soleil qui brille dans le coeur ou dans le corps. On ne sait pas toujours pourquoi. C'est souvent d'ailleurs qu'on fait le trajet du retour avec la tête pleine d'interrogations : "Qu'est-ce qu'elle m'a répondu déjà, je ne me souviens plus..." ou "Mais pourquoi elle arrêté la séance sur ce mot, j'avais pas fini ma phrase!" ou encore, "Qu'est-ce qu'elle voulu dire avec sa réflexion tordue?"...
Cette heure ét demie (au moins) de trajet est bien sûr un temps d'élaboration et d'intégration du travail analytique, et fait partie intégrante de la séance.
Bon, ceci dit, quand ce sera fini (compter quelques années...) je ne suis pas sûre que ça me manquera tant que ça ces kilomètres de route dans la pinède ... Mais je sais qu'il y aura toujours un certain bord d'étang, une petite ville de bord de mer, qui évoqueront pour moi un peu plus qu'un lieu fréquenté par les touristes l'été.