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La crémière navigue entre deux eaux
12 février 2011

La suite (pour la fin, c'est une autre paire de manches) ...

Vous entrez.

A droite de la porte, un pan de mur assez court et une étagère de bois qui supporte des livres professionnels.

En face de la porte, une chaise de bois, un petit fauteuil d'enfant, et un fauteuil en cuir blanc. Dans l'encoignure près du fauteuil d'enfant, une panière en osier d'où émergent divers jouets, des livres, un poupon.

A gauche de la porte, une petite table basse supporte un téléphone et un gros agenda qui déborde de papiers, à côté un fauteuil en cuir, SON fauteuil, avec un grand châle de laine écrue. Face à son fauteuil, la baie vitrée qui donne sur l'étang noir. Contre le mur du fond à gauche un bureau de bois ancien très encombré, ordinateur, imprimante, papiers, livres, stylos, lampe, bibelots en vrac.

Le divan, en cuir blanc lui aussi, est contre le mur de gauche, entre SON fauteuil et le bureau, un coussin pour vous soutenir la nuque, un mini tapis oriental pour éviter de salir le cuir avec vos chaussures.

Au dessus du bureau, une fenêtre carrée, rideaux blancs, elle donne sur des arbres, on y voit parfois des écureuils sauter de branche en branche.

Au sol, du parquet clair, un tapis de laine blanche. Les murs sont peints en blanc; le plafond haut et mansardé laisse voir des poutres blanches et de la sapinette cérusée légèrement rose-mauve.

Vous entrez et elle vous invite à vous asseoir en face d'elle. Vous resterez assis sur ce fauteuil un certain nombre de séances. tout dépend de votre âge (pas d'analyse allongée pour les enfants), de votre demande (analyse n'est pas psychothérapie), et d'un tas d'autres critères tous très mystérieux et destinés à le rester. Un jour elle vous annoncera : la prochaine fois ce sera allongé ! Parfois au bout de quelques semaines, parfois après plusieurs années.

Autant vous dire que si vous l'avez désiré, ce divan et ce décubitus, le jour où elle vous annonce que "ça y est, vous y entrez dedans, dans ce saint Graal de l'analyse sur divan", vous n'en menez pas large...

Une fois allongé, vous en avez pour quelques années à contempler :

Le plafond : (Ah les noeuds dans le pin, les joints mal faits entre le bois et le plâtre, la toile 'araignée insidieuse qui se forme à l'angle de la plus grosse poutre...)

La fenêtre (tiens, elle a retiré ses impatients de peur qu'ils ne gèlent, ça y est les bourgeons sont sortis, oh un merle! ah, elle a lavé les rideaux...). 

Une étagère en verre sablé qui a la forme d'une vague et qui se trouve au dessus du divan. Un statuette africaine en bois foncé et une coupe verte et bleue la décorent. Comme l'étagère est translucide, vous pouvez voir le dessous des objets posés dessus. Un message ? un symbole du travail analytique ? Même si le décor est minimal, dans le silence des séances, vous aurez largement le temps de vous approprier ces détails et de répondre, entre autres à ces questions existentielles.

Elle, par contre, pas folle, elle s'est réservé la vue sur l'étang : Remarquez, toute l'année, toute la journée à nous écouter, il faut bien qu'elle ait quelques motifs de compensation et quelques points d'appui qui lui permettent de rester éveillée ! C'est ce qu'on appelle l'écoute flottante, alors flotter en regardant l'eau d'un étang, c'est finalement assez approprié, je trouve.

Comme même les meilleures choses ont une fin, surtout les meilleures, il faut dire, la séance a également une fin. (Notez ici que je ne parle pas de la fin de l'analyse, voyez à ce sujet l'excellent ouvrage d'Oreste Saint-Drôme, illustré par Sempé, publié au point virgule: "comment se débarrasser de son psychanalyste", ouvrage faisant suite à celui du même auteur: "comment choisir son psychanalyste", mais je gage que chacun d'entre vous connaît déjà ces opuscules incontournables chez tout humaniste de bonne tenue). Donc, disais-je avant de m'interrompre moi-même*, la fin de la séance:

Assez soudainement, sans que vous puissiez en tirer une logique claire, souvent au milieu d'une phrase, au détour d'un mot, parfois après un long silence, la dame de l'étang noir se lève, comme mue par un ressort invisible mais au déclenchement imprévisible,  en vous faisant un commentaire que la plupart du temps vous ne comprenez pas (mais êtes-vous là pour comprendre ?) et vous signifie ainsi que la séance est levée, euh non, terminée.

Dès lors, il ne vous reste plus qu'à  remettre votre manteau, la payer (le montant, la périodicité des séances se font selon un accord que vous aurez négocié en début d'analyse, et qui pourra être révisé à votre ou à sa demande), vérifier la date et l'heure du prochain rendez-vous, lui serrer la main en lui disant au revoir (allongé on peut tout se permettre, mais debout une politesse de bon aloi est bienvenue) et sortir par la porte-fenêtre donnant sur l'étang .

S'il fait nuit vous hésitez un peu dans l'herbe inégale mal éclairée, mais globalement vous arrivez toujours à retrouver votre voiture.

C'est le retour.

Retour dans la vraie vie, la votre, celle dont vous finirez bien un jour par vous dépatouiller. Enfin j'espère.

* formule littéraire empruntée à M Desproges

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Commentaires
S
Zig et Adrienne: s'endormir sur le divan ? ça revient cher de la sieste!<br /> Et non, je n'ai pas l'intention de lui faire lire ces textes, plein d'autres choses plus urgentes (et gênantes en ce moment) à dire. En général si elle arrête brusquement, c'est qu'il y avait matière à ... Soit une idée à creuser, soit la nécessité d'arrêter un fonctionnement qui freine dans la vie de tous les jours et vient jouer aussi des tours dans le discours de l'analyse. C'est aussi ça que j'apprécie chez elle, sa capacité à trancher, sa franchise et bien sûr sa bienveillance. Mais franchement, c'est pas facile tous les jours.
A
je crois moi aussi que si je m'allongeais chez la dame de l'étang noir, je m'endormirais facilement... ou que je serais distraite par les nervures des poutres et le craquelé de la peinture...<br /> et je détesterais qu'elle me signifie mon congé au moment où je serais (enfin!) en pleine effusion...<br /> bravo, c'est bien raconté... on sent l'ambiance!
Z
j'aime beaucoup ton texte <br /> le seul cours de psy où notre prof a parlé d'analyse j'étais au premier rang et je me marrais ostensiblement. je n'ai jamais testé ... aujourd'hui je suis assez neutre à ce sujet faudrait déjà pas qu'elle m'autorise le divan je serais foutu de m'endormir instantanément(comme quand j'ai tenté le yoga). je ne sais pas si tu lui fais lire les textes à son sujet.elle devrait apprécier.je remarque la prédominance du blanc au début de ton texte (moi je n'aime pas le blanc mais c'est ton analyse à toi!)
S
Bienvenue Margotte
M
On aurait presque envie de la rencontrer cette dame à l'étang noire.
La crémière navigue entre deux eaux
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